De même que Booker T. Jones a été la clé dans
la réussite des M.G.'s, de même
Steve Cropper,
venant de l'autre côté de la barrière raciale, a amené ses dons spéciaux au
groupe. C'est un Blanc de vingt‑sept ans qui joue de la guitare avec une
telle profondeur de sentiments et une technique si exceptionnelles que sa
musique transcende les barrières de couleur. Steve Cropper est celui que les
Beatles admiraient tant, qu'ils voulurent venir jusqu'à Memphis pour
enregistrer avec lui.
Lorsque Steve était enfant, dans le Missouri, ses parents, des professeurs,
aimaient la musique country et western, qui était la musique prédominante
dans la région des Ozarks, où ils habitaient. Ceci fut la première influence
musicale pour Steve, mais quand il eut neuf ans, sa famille partit pour
Memphis, et là, quelques années plus tard, il entendit une autre musique, car
les années 50 constituèrent l'ère du rhythm and blues et pendant laquelle on
vit apparaître le type du disc‑jockey soul. Tandis que d'autres adolescents
blancs écoutaient Elvis Presley, Steve se tourna vers les origines de cette
musique noire. Il écouta la station de radio WDIA
où
Rufus Thomas diffusait des blues noirs, et devint un admirateur de
Chuck
Berry,
Bo Diddley,
Ray Charles, les
Platters et les
Five Royals. Il aimait ce
qu'il entendait et étudia passionnément les styles les plus divers de
musique.
Quand il atteignit quinze ans, Steve s'acheta une guitare pour dix‑huit
dollars et commença à jouer des airs pour lui‑même.
«J'avais
pris assez de leçons, dit‑il, pour apprendre les accords, mais j'étais trop
impatient pour m'astreindre aux exercices... peut‑être parce que j'avais
commencé si tard. J'aimais mieux jouer les airs à la mode que des petites
choses comme Little Brown Jug (Petit pot brun).»
Steve n'était pas le seul adolescent blanc de Memphis à aimer le soul et
bientôt, il aida à l'organisation d'un petit groupe appelé les
Mar‑Keys. Un des membres de ce groupe était un
petit contrebassiste replet et roux,
Donald Dunn, surnommé «Duck» (Canard)
à cause de son penchant à mettre un peu d'humour dans tout ce qu'il faisait.
Steve et Duck s'étaient connus depuis qu'ils étaient en sixième et étaient «
comme des frères ». Plus tard, en 1964, «Duck» devenait le contrebassiste
des M.G.'s. Un des garçons du groupe connaissait
Mme
Estelle Axton, qui en 1960 travaillait pour l'enregistrement de disques.
Il en résulta pour les Mar‑Keys un enregistrement
de leur chanson Last Night (la Nuit dernière) qui eut la troisième
place au Billboard. Puis ce groupe se dispersa, quoique le nom fût de
nouveau porté, plus tard, par un groupe de chez Stax. Steve
cependant resta chez Stax ayant abandonné ses
cours d'ingénieur mécanicien à l'Université de l'Etat de Memphis, et devint
bientôt l'un des principaux techniciens du son de la Compagnie. Encore
aujourd'hui, il a cette fonction, tout en enregistrant
comme musicien avec les M.G.'S.
Une preuve du haut niveau musical de Cropper est sa profonde entente musicale
avec Booker T. Jones qui, lui, a acquis une éducation musicale dans les
règles. Lorsqu'ils jouent ensemble, l'orgue et la guitare semblent converser
et les solos de Steve sont tellement propres et sans bavures, ses
improvisations sont tellement pleines d'idées dans leur façon d'être funky
qu'il est considéré par ses admirateurs et par des musiciens, comme l'un des
meilleurs guitaristes électriques sur le marché. Le public le connaît surtout
comme soliste, mais ses talents comme producteur et compositeur de chansons
sont aussi impressionnants.
Cropper est l'homme qui fit connaître
Otis Redding, travaillant plus avec lui que quiconque, lui fournissant
certains trucs techniques, dont manquait le maître du soul, au talent
naturel, collaborant avec lui pour les chansons, s'assurant que les musiciens
adéquats étaient choisis pour que la musique, finalement, produisît le
sentiment que Redding voulait donner. Cropper dit de son regretté ami et
collègue : « Otis était absolument fantastique, un homme pur et un homme bon,
à côté de qui on se sentait bien. Il était un des plus grands, N'importe quel
bon musicien aurait voulu travailler avec lui. Il ne ménageait jamais sa
peine. Il était toujours d'accord pour essayer de nouveaux « trucs » et pour
coopérer pleinement. Souvent, nous restions à travailler toute la nuit de
nouvelles chansons. Vraiment, il ne se rendait pas compte combien il était
grand. » C'est lors d'une de ces soirées de
travail que fut réalisé le mémorable Dock of the Bay (Les quais de la
Baie), enregistré quatre jours avant la mort tragique de Redding. Otis avait
d'ailleurs eu la prémonition de sa mort, et l'on sait que son avion privé
s'écrasa dans un lac du Wisconsin.

promo STAX
Cropper demeure, d'après les classements, un des producteurs qui vendent le
mieux dans le pays. Et en tant que compositeur de chansons, il en a écrit
presque un millier dont deux cent cinquante ont été enregistrées. Au
commencement de 1969, vingt‑six des chansons de Steve Cropper avaient été
citées dans les classements à un moment ou à un autre, et il a gagné neuf
disques d'or en tant que compositeur. Citons les très connus Dock of the
Bay (Les Quais de la Baie), Green Onions (les oignons nouveaux)
avec la collaboration des autres M.G.'s, Midnight
Hour (l'heure de minuit) enregistré dans au moins 70 versions,
la plus populaire étant celle de Wilson Pickett, et
See‑Saw (Balançoire) qui a été un tube sensationnel pour
Aretha Franklin. Quand on considère les réalisations de Cropper et la qualité
de son travail, il est difficile pour quiconque, même pour les
inconditionnels qui ne prônent que les Noirs, de nier qu'un homme blanc
puisse avoir du soul.
AI Jackson Jr., le drummer des M.G.'S qui commença
à jouer à l'âge de douze ans dans l'orchestre de jazz et de blues de son père
groupe qui a eu sa popularité, dans le Sud‑Ouest, pendant les années 50 ‑
exprime de façon encore plus significative, le respect qu'il a pour l'artiste
soul blanc.

Lui et
Steve Cropper se rencontrèrent, lorsque jeunes professionnels, mais avant
l'époque des M.G.'s, ils jouaient à droite et à
gauche, dans Memphis et aux alentours. L'amitié qui s'ensuivit, va au‑delà du
studio d'enregistrement. Jackson dit de Cropper : «Des gens pourraient
s'étonner que des gens comme Steve et Duck jouent de la vraie musique soul,
on doit se souvenir, que les Blancs, surtout dans cette région, ont leur
propre genre de racines soul dans la musique country et western tandis que
nous, les Noirs, avons nos racines, dans le blues, le gospel, le R & B. Quand
un gars blanc est assez souple pour faire la synthèse des sentiments de ces
deux sortes de musique, et pour en faire quelque chose à lui, alors là, vous
avez quelque chose qui est vraiment du tonnerre.»
Voici donc quelques‑un des musiciens qui ont
contribué à créer l'enthousiasme pour le style de Memphis et à «allumer la
mèche qui a déclenché l'explosion» du soul, mais dans l'industrie du disque,
plus même que dans la plupart des arts populaires tout dépend d'un effort
solidaire. Chaque individualité, dans cette industrie, même ceux placés le
plus bas dans l'échelle, doit mettre du sien dans l'espoir de profiter des
richesses que le développement de cette industrie laisse présager.


Steve Cropper, Bookert T. Jones, Al Jackson,
Donald "Duck" Dunn
