DISC 1

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DISC 1 / October, 1962 - July, 1965
 

               1  - These Arms of Mine /  2  - That's What My Heart Needs  / 3  - Mary's Little Lamb
               4  - Pain in My Heart / 5  - Something Is Worrying Me / 6  - Security /  7  - Come To Me
               8  - Your One And Only Man /  9  - Chained & Bound /  10 -That's How Strong My Love Is
               11 - Mr. Pitiful /  12 - Keep Your Arms Around Me /  13 - For Your Precious Love
               14 - Woman, A Lover, A Friend /  15 - Home In Your Heart  / 16 - I've Been Loving You Too Long
               17 - A Change Is Gonna Come /  18 - Shake /  19 - Rock Me Baby /  20 - Respect

 

         

 

 

A sa sortie, THESE ARMS OF MINE ne connut aucun succès sauf un petit peu à San Francisco. Deux ou trois mois plus tard, John R. de la radio WLAC de Nashville appela Jim Stewart et lui dit qu’il croyait au succès de la chanson.

Pour s'assurer que THESE ARMS OF MINE serait diffusée, Jim Stewart céda ses droits de production à John R. en échange de son soutien. Avec John R. en tête, le disque, en quelques mois, atteint finalement la 20ème place du hit-parade R'n'B et la 85ème du hit-parade Pop. La période des dettes à payer était finie, une course de cinq ans d'intensité que furent les débuts de la carrière d'Otis.

THESE ARMS OF MINE allait être le prototype d'une série de ballades qui durerait jusqu'en 1966 et qui inclurait THAT'S WHAT MY HEART NEEDS, PAIN IN MY HEART, COME TO ME, CHAINED & BOUND, I'VE BEEN LOVING YOU TOO LONG et CIGARETTES AND COFFEE. "Jim [Stewart] poussait toujours pour la grosse ballade", se souvient Steve Cropper. "Il n'était pas satisfait tant qu'il n'avait pas eu sa ballade, quoi qu'on fasse. Il adorait les trucs rapides aussi mais il avait besoin qu'Otis chante ces ballades soul. Et il s'accrochait à cette idée parce que c'est comme ça que tout avait commencé. Avec Otis il y avait eu deux influences dans toute sa vie. L'une était Sam Cooke, l'autre était Little Richard." (Phil Walden ajouterait Elvis à cette liste d'élite) "Little Richard était un chanteur à rythme rapide, Sam Cooke plutôt un chanteur de ballades. Alors il passait d'un extrême à un autre." Et en effet, et comme c'était d'usage pour l'époque, presque chaque 45 tours d'Otis Redding publié de son vivant associerait une chanson à rythme rapide avec une ballade.

Avec THESE ARMS OF MINE qui prit plusieurs mois à atteindre son sommet au hit-parade, la deuxième séance d'Otis pour Stax ne se produisit pas avant l'été 1963. Deux titres furent enregistrés, THAT'S WHAT MY HEART NEEDS et MARY'S LITTLE LAMB, qui ensemble constituèrent son deuxième single [5]. Les deux se trouvent inclus ici. Phil Walden se souvient "Il était beaucoup plus confiant cette deuxième fois car il avait passé beaucoup de temps en tournée. Il n'était pas tellement plus sophistiqué mais il commençait à comprendre ce qui se passait en dehors du circuit des petites universités et des clubs aux toits de tôle pour noirs du sud."

La séance fut unique à plus d'un titre. Sur les deux chansons Otis chante avec une voix rauque et passionnée de gospel qui rappelle celle de Archie Brownlee des Five Blind Boys of Mississippi (le plus proche équivalent séculier serait le James Brown des débuts, de l'époque de PLEASE PLEASE PLEASE). A écouter la fin improvisée de THAT'S WHAT MY HEART NEEDS on pourrait conclure qu'Otis aurait fait un magnifique chanteur de gospel s'il avait choisi d'enregistrer dans ce langage.

Deux choses méritent d'être signalées à propos de MARY'S LITTLE LAMB. C'est l'une des trois seules faces B de single d'Otis Redding qui n'apparaît pas sur un LP [6] et qui a été très rarement publiée sur des compilations européennes et japonaises jusqu'à aujourd'hui. C'est aussi la seule chanson d'Otis publiée de son vivant qui comprenne un groupe vocal pour les choeurs (les choeurs sur LOOK AT THAT GIRL et I'VE GOT DREAMS TO REMEMBER ont été rajoutés après sa mort). Les voix sont probablement celles des Veltones, un quartet vocal qui enregistrait ses propres singles sur Sun, Goldwax et Satellite (le précurseur de Stax) et qui faisait la plupart des choeurs au cours des premières séances de Stax.

Le troisième single d'Otis, PAIN IN MY HEART / SOMETHING IS WORRYING ME, enregistré quelques mois plus tard, démontre des progrès encore plus grands. Avec PAIN IN MY HEART, le contrôle d'Otis devient central et prépondérant car il utilise sa voix comme un instrument à vent, tantôt en gonflant et tantôt en diminuant le volume, avalant des syllabes ou prononçant avec précaution le mot "heart. [7]" Remarquez aussi le phrasé, la toujours-plus-subtile hésitation avant de prononcer quelques-unes des syllabes des paroles. Avec les cuivres qui constituent un fond plus homogène et les jolis ornements de Steve Cropper par-dessus et autour de la voix d'Otis, son style classique de ballade se rapprochait de la perfection.

 

Quand elle fut publiée pour la première fois en septembre 1963, l'auteur compositeur était "Redding." Peu après Otis et Stax se virent poursuivis par une plainte d'Allen Toussaint qui, sous le pseudonyme de Naomi Neville (le nom de jeune fille de sa mère), avait écrit la chanson RULER OF MY HEART pour la reine du R'n'B de la Nouvelle Orléans, Irma Thomas. Les chansons étaient trop proches pour que ce soit un hasard et, après un arrangement à l'amiable, l'auteur compositeur fut changé en "Neville." Problèmes légaux mis à part, ce fut à l'époque le plus grand succès d'Otis, à la fois sur le plan commercial et sur le plan esthétique.

La face B, SOMETHING IS WORRYING ME, montre non seulement que la confiance et la finesse d'Otis sont toujours croissantes mais aussi la maturation des musiciens du studio de Stax. Le disque s'ouvre sur la caisse claire d'Al Jackson qui déclenche le groove [8], suivi par un riff [9] irrésistible des cuivres et un morceau de piano de Booker T. Jones incroyablement brillant et funky [10]. L'écriture d'Otis devient aussi plus solide. Remarquez le pont à la fin de la chanson et le break [11] de cuivres de huit mesures de long, le premier de son genre sur un disque de Redding. Tout le monde devait avoir quitté le studio Stax du 926 de la rue East McLemore particulièrement content ce jour là.

Pour les sessions de THAT'S WHAT MY HEART NEEDS et de PAIN IN MY HEART, Otis était venu avec trois membres de son groupe de tournée : le guitariste et harmoniciste Eddie Kirkland, le choriste Bobby Marchan de la Nouvelle Orléans et le choriste Oscar Mack. Jim Stewart accepta de les enregistrer séparément et chacun eut deux singles sur Volt, mais aucun ne connut de succès.

Tous les morceaux cités ci dessus, plus la face A du cinquième single d'Otis, l'entraînant SECURITY, furent rassemblés avec une série de reprises, dont deux de ses idoles, Sam Cooke (YOU SEND ME) et Little Richard (LUCILLE), sur son premier album PAIN IN MY HEART, publié en février 1964 sur ATCO et qui atteint la 103ème place au hit-parade au printemps. SECURITY, injustement, n'eut presque aucun succès dans les hit-parades alors qu'aujourd'hui il demeure comme un tournant du début de la carrière d'Otis, laissant apparaître pour la première fois sa marque de fabrique, la ponctuation à contre temps des cuivres, en duel à la fois avec les réponses de la guitare métallique de Cropper et avec la voix d'Otis, après le break des cuivres. Absolument sublime. [11b]

COME TO ME fut la moitié du quatrième single d'Otis. Co-écrit avec Phil Walden, il est dans le mode des ballades en 6/8 évoqué ci-dessus, avec toujours des triolets au piano mais avec l'ajout cette fois d'un orgue tout droit sorti de l'église. C'est aussi l'un des deux seuls morceaux d'Otis, après la première séance, à ne pas comporter de cuivres. Avec les huit morceaux qui constituent la face Deux [12], COME TO ME fut inclus dans le deuxième LP d'Otis, THE GREAT OTIS REDDING SINGS SOUL BALLADS, publié en mars 1965.

La première session payée à Isaac Hayes fut avec Otis Redding. "J’avais peur" raconte Hayes vingt-deux ans après les faits. " Me voici dans cet endroit où j’avais toujours rêvé d’être, là où tous ces géants étaient passés ". A cette date tardive il est difficile de se souvenir si c’était pour COME TO ME en Février 1964 ou pour SECURITY en Avril.


YOUR ONE AND ONLY MAN et CHAINED & BOUND constituèrent le sixième single d'Otis. Les deux sont des compositions originales, de même que MR. PITIFUL. Ce dernier titre fut à plusieurs titres un tournant pour Otis. Ce fut son premier disque à comporter un autre de ses motifs typiques de cuivres, des séries de huit mesures avec le contre temps accentué. Ce fut aussi la première collaboration d'Otis en tant que compositeur avec Steve Cropper, et sa première entrée au Top 10 du hit-parade R'n'B et au Top 50 du hit-parade Pop. Cropper se souvient "Nous avons écrit cette chanson en dix minutes. Il y avait un disc-jockey ici qui s'appelait Moohah [A.C. Williams]. Il était sur WDIA. Il commença à appeler Otis "Mr. Pitiful" [13] parce qu’il faisait tellement pitié quand il chantait ses ballades. Alors j'ai dit "Super idée pour une chanson." J'ai eu l'idée d'écrire là dessus dans la douche. J'allais chercher Otis. J'y allais et je fredonnais l'air dans ma voiture. J'ai dit "Hey, qu'est ce que tu penses de ça ?" Nous avons juste écrit la chanson sur le chemin du studio, juste en tapant nos mains sur nos cuisses. Nous l'avons écrite en à peu près dix minutes, nous sommes entrés, nous l'avons montrée aux gars, il a fredonné une ligne de cuivres, boom nous l'avions. Quand Jim Stewart entra nous avions déjà tout arrangé. Deux ou trois prises plus tard ça y était."

A cette époque, Jim Stewart venait de renoncer à son emploi à la banque pour se consacrer à Stax à plein temps. Peu de temps après, Tom Dowd arriva à le convaincre d’installer une table de mixage à deux pistes. " Ils me demandèrent si je n’allais pas perdre leur son " raconte Dowd en riant. " J’ai dit : voilà ce que je vais faire : on va intercaler les deux pistes  et on va laisser le mono en bout de circuit, comme ça vous pouvez enregistrer les deux en même temps. Si vous préférez le mono, pas de problème, mais n’effacez pas les deux pistes ". Chaque piste était alimentée par l’un des quatre mixeurs Ampex que Jim utilisait depuis son premier studio à Brunswick. Cela voulait dire que chaque instrument était sur un canal ou l’autre, ce qui causait des situations étranges  où la voix et son écho se retrouvaient sur le même canal. Tout cela n’affectait que les albums. L’essentiel des productions du studio était encore sous forme de singles qui, à l’époque, étaient exclusivement produits en mono.

Quand il était temps de faire un disque, Otis arrivait en général à Memphis quelques jours avant la séance. Il s'installait dans un hôtel du centre ville et parcourait avec Steve ce qu'il avait déjà écrit. D'après les souvenirs de Cropper, Otis avait toujours de nombreuses idées de chansons. "Il avait en général dix ou douze, parfois jusqu'à quatorze idées. Quand on se retrouvait pour la première fois, il écrivait beaucoup. Il disait "Bon, écoute celle-ci, écoute celle-là." Il me jetait cinq ou six idées dans la première demi-heure. Je faisais mon choix soit sur le titre soit sur le groove, l'un ou l'autre." Walden confirme ce que dit Cropper : "Steve finissait, les mettait en ordre. C'était en ça que Steve était vraiment très bon, à organiser les chansons d'Otis, à les nettoyer et à l'aider avec les paroles. C'était un excellent collaborateur." Otis écrivait en général à la guitare et comme il ne savait jouer qu'avec une guitare accordée à la Vastopol (les six cordes formant un accord de Mi-Majeur), les possibilités d'accords mineurs étaient quasiment éliminées de ses chansons. "En général on le suivait" se souvient Cropper. "Là où ça aurait dû être mineur ça devenait majeur et on le laissait majeur. Ca créait un son pour nous."

La face B de MR. PITIFUL, THAT'S HOW STRONG MY LOVE IS de Roosevelt Jamison et Steve Cropper, est l'une des ballades de R'n'B les plus parfaites de tous les temps. Jamison l'avait originellement apportée à une audition de Stax un samedi matin, où Steve Cropper avait aidé à réécrire une partie des paroles. Rien n'arriva néanmoins et Jamison l'apporta à une autre compagnie de R'n'B, Goldwax Records, où il l'enregistra avec O.V. Wright. Entre temps Cropper l'avait enregistrée avec Otis. Les versions de Wright et d'Otis sortirent à quelques jours d'intervalle et les Rolling Stones l'enregistrèrent peu après, la combinaison de ces versions en faisant instantanément un classique de soul. Cette chanson fut enregistrée à la fin de l’automne ou au début de l’hiver. A Stax cela voulait dire que la section de cuivres portait des manteaux et des gants. Le studio n’était équipé que d’un seul radiateur qui était placé à côté de la batterie d’Al Jackson. " Ce radiateur fonctionnait ", se souvient Wayne Jackson en riant, " Et Al Jackson était en T-shirt, transpirant. Nous étions de l’autre côté de la pièce en imperméables et avec des gants, il faisait si froid là dedans ! "

Quelques autres morceaux furent enregistrés en une seule séance pour compléter l'album THE SOUL BALLADS en Mars 1965, le premier album à sortir sur la marque Volt. Il ne monta qu’à la 147ème place du hit parade des albums pop mais monta à la 3ème place du nouveau hit parade des albums R&B. KEEP YOUR ARMS AROUND ME fut écrit par le chanteur de country noir O.B. McClinton. A cette époque il était à l'université et, de temps en temps, il traînait devant Stax avec quelques autres, pleins d'espoir, essayant de placer leurs chansons. Bredouille à de nombreuses reprises, avec KEEP YOUR ARMS AROUND ME il essaya une nouvelle approche. Courant vers la copropriétaire de Stax, Estelle Axton, alors qu'elle quittait le bâtiment, O.B. lui chanta la chanson dans une imitation parfaite du style d'Otis dans PAIN IN MY HEART. Impressionnée comme il se doit, Axton et Stewart demandèrent à McClinton de l'enregistrer a capella sur bande. McClinton se souvient "La fois suivante j'appris qu'ils l'avaient enregistrée pour l'album d'Otis. J'étais aussi près du paradis que je pensais jamais pouvoir être."

Estelle Axton et Jim Stewart

Trois reprises se trouvent aussi sur SOUL BALLADS. La première est une légère variation autour du succès de 1958 de Jerry Butler avec les Impressions, FOR YOUR PRECIOUS LOVE, avec des arpèges au piano de Booker T. et un époustouflant jeu d'ensemble des MGs. La deuxième est la version d'Otis du Numéro 1 au hit-parade R'n'B et du top 20 du hit-parade Pop de Jackie Wilson, WOMAN, A LOVER, A FRIEND, une fidèle imitation, en plus brute et avec les odieuses cordes et les choeurs qui gâchaient si souvent les efforts de Wilson en moins. Remarquez le falsetto d'Otis dans le dernier couplet. Sa capacité à reproduire Wilson donne la chair de poule. Enfin, HOME IN YOUR HEART est une frime pure et simple à partir du disque de 1965 de Solomon Burke, avec en moins quelques-uns uns des soupirs maniérés du King Solomon [14] et les choeurs déplacés.

 
La mi-1965, six mois après la mort de Sam Cooke, vit paraître le premier chef d'oeuvre incontestable d'Otis Redding, l'époustouflant OTIS BLUE.
Cet album resta trente quatre semaines consécutives dans le hit-parade des albums pop jusqu’à atteindre la 75ème place. Il resta des mois dans le hit-parade des albums R&B et en atteint la 1ère place. Dès ce moment, Otis devint un " artiste de catalogue ". Ses albums se vendaient régulièrement, pendant longtemps, atteignant entre 200.000 et 250.000 copies vendues, plutôt que de vendre massivement à sa sortie et de cesser de vendre aussitôt après. Plusieurs éléments le démarquent du DICTIONARY OF SOUL de 1966 comme un classique particulier du canon de Redding. Otis et le groupe de la maison Stax/Volt ont atteint un nouveau niveau de cohésion, de puissance et de maturité stylistique. De plus, Otis écrivait des chansons si fortes que, plus que de simples tubes, elles devenaient les définitions d'un genre. Un choix particulièrement avisé de reprises complétait les ingrédients, résultant en un album presque parfait qui a résisté à l'épreuve du temps de façon admirable. Il est fascinant de remarquer que dans le top 100 des albums de tous les temps, publié par le New Musical Express anglais à la fin 1985, OTIS BLUE était toujours classé à la 23ème place. Evidement, l'album qui le rendit superstar en Europe est toujours chéri là-bas.

OTIS BLUE est représenté dans notre compilation. Trois de ses morceaux, I'VE BEEN LOVING YOU TOO LONG, RESPECT et OLE MAN TROUBLE furent publiées sous deux différentes versions. Toutes furent d'abord enregistrées en mono pour la sortie en single plusieurs mois avant les séances d'enregistrement de l'album. Pour OTIS BLUE, le meilleur ingénieur du son d'Atlantic, Tom Dowd, prit l'avion pour Memphis et brancha une table d'enregistrement à bande Teac stéréo sur la table de mixage légèrement antique de Stax. On décida, de façon consensuelle, de réenregistrer les trois morceaux en stéréo pour leur apparition sur l'album. Quoi qu'il en soit, cette compilation présente les versions stéréo de l'album.

La plus grande différence se situe entre les deux versions de la ballade séminale I'VE BEEN LOVING YOU TOO LONG (co-écrite avec Jerry Butler dans une chambre d'hôtel de Buffalo). En tant que single, elle représenta le plus grand succès commercial d'Otis jusqu'à DOCK OF THE BAY, elle atteindra les numéros 2 et 21 respectivement aux hit-parades R'n'B et Pop. Mais aussi bonne soit la version du 45 tours, la version de l'album est encore meilleure. Otis l'avait interprétée régulièrement sur scène et avait acquis une bien meilleure sensation de la chanson. Avec un tempo ralenti, le doublement de l'effet dramatique des pauses, une utilisation plus grande de la dynamique, des cuivres beaucoup plus puissants et une voix douloureusement passionnée, c'est l'un des plus raffinés des enregistrements jamais effectués par Otis Redding.

  The Mar-keys

Pour Wayne Jackson, la ligne des cuivres jouait le rôle des choeurs. "Le cuivre est comme une voix mais vous êtes limités dans ce que vous pouvez faire. Vous n'avez pas les syllabes alors vous devez utiliser la dynamique avec discernement. C'est la seule manière que vous avez d'exprimer votre respiration sans prononcer de syllabe. I'VE BEEN LOVING YOU TOO LONG a de superbes parties de cuivres. Vous pouvez presque entendre les cuivres prononcer des mots sur le disque. Ils sont aussi utilisés comme des instruments rythmiques sur les arrêts ­ une vraie ponctuation."

La reprise par Otis du chant du cygne de Sam Cooke A CHANGE IS GONNA COME est toute aussi fascinante. Il est difficile d'imaginer que quiconque puisse battre Cooke sur son propre terrain mais c'est exactement ce que font Otis et les MGs, avec l'aide d'Isaac Hayes et des cuivres des Mar-Keys. L'interjection rythmique sous forme d'un triolet et de deux croches n'est tout juste qu'un soupir dans la version originale de Cooke ; sur OTIS BLUE elle est comme un marteau piqueur. Otis est à son meilleur niveau d'ellipse avec des mots, quelquefois des syllabes, jaillissant de ses cordes vocales à un instant, avalés ou tronqués au moment suivant. Tout le long du morceau, c'est l'émotion qui est l'esthétique dominante.

Après deux ballades, nous continuons notre sélection avec une version accélérée et frimeuse de SHAKE de Cooke. La confiance et l'interprétation de Redding, des MGs et des cuivres des Mar-Keys est tout simplement inimitable et, encore une fois, la version originale de Cooke, aussi bonne soit-elle, à l'air pâle en comparaison de celle-ci. Sur de nombreux enregistrements du début de la carrière d'Otis, il avait l'air hésitant et ne s'en sortait que grâce à son intuition. Ici, il rugit comme une locomotive. A partir de maintenant, les tempos deviendront plus rapides ou plus lents ; les extrêmes seront plus apparents ; les morceaux seront encore plus violents ou traités avec encore plus de douceur. Le style d'Otis et celui du groupe de la maison Stax ont atteint la maturité.

Phil Walden nous fournit un regard personnel : "Je crois qu'il était plus sophistiqué et conscient de qui il était. Il avait du succès et il aimait cette vie, être une star et que les gens vous aiment. Il s'habituait à être Otis Redding et je pense que ça se voit dans sa musique. Enfin il était une vraie star, pas quelque chose qu'on essaye de fabriquer. Il suffisait de se fier aux ventes d'album qui étaient assez uniques pour les artistes noirs à cette époque là." (Otis vendait entre 250 et 350 mille albums à chaque parution. Mais plus important, ses albums restaient toujours de bons produits sur le catalogue, se vendant régulièrement pendant de longues périodes de temps).

Wayne Jackson est d'accord avec Walden : "Plus il gagnait en stature en tant qu'artiste à la renommée internationale, plus sa confiance montait. Il ne changeait pas sa façon de jouer, je crois qu'il devenait juste meilleur."
 

 

(5) A l'époque on aurait dit un 45 tours, l'équivalent du CD deux titres

(6) LP = Long Player, à l'époque on aurait dit un 33 tours, on peut dire "album"

(7) "Coeur"

(8) Le groove n'est pas facile à définir, c'est la propension qu'a un morceau de faire danser l'auditeur, avec une connotation sensuelle en plus. Voir à ce sujet la remarque que fait Otis à Floyd Newman à propos de FA-FA-FA-FA-FA (SAD SONG): "Floyd, si tu écoutes la chanson et que tes épaules ne bougent pas, c'est qu'elle n'a pas de groove".

(9) Un riff est un court motif musical répété plusieurs fois pendant le morceau

(10) Funky veut dire sale, à l'origine, mais c'est aussi une façon de jouer de la musique, ici presque comme un piano bar du quartier des bordels de la Nouvelle-Orléans. C'est finalement devenu un style musical à part entière dans les années 70.

(11) Un break est une cassure musicale qui peut être, par exemple, une cassure rythmique, un changement de tonalité, une pause...

(11b) SECURITY est aussi, selon certains, le premier morceau de soul proprement dite. D’autres candidats sont EVERYBODY NEEDS SOMEBODY TO LOVE par Solomon Burke et OUT OF SIGHT par James Brown. Ces trois morceaux sont de 1964.

(12) Du coffret 4 vinyles (ce sont les titres 9 à 15 du 1er CD)

(13) "Mr. Pitoyable"

(14) Le Roi Solomon, le surnom qui a suivi Solomon Burke toute sa carrière

 

 

 >>>>    à suivre vers disc 2

 

 

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