Rock and Soul

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Steve Cropper se souvient d’Otis Redding
Article de “ Rock and Soul ” de mai 1969
Pages 14-15
 

l'article original provient du magazine HIT PARADER de juin 1968
 

   
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Mon premier sentiment pour Otis a fini aussi par être mon dernier. Il était un homme pur. Tout ce que tu peux dire sur lui n’est que du bien. C’était quelqu’un de bien. Il s’entendait toujours bien avec les gens autour de lui. Autant que je sache, il n’avait pas d’ennemis. Il n’énervait jamais les gens. Il pensait toujours aux autres et c’était agréable d’être en sa compagnie. Il était juste un type bien sous tous les points de vue et ça se voit dans ses enregistrements et dans son travail. Quand Otis arrivait au travail, il déclenchait tout le monde. Il y mettait tellement d’énergie.

 Il n’était pas motivé par une obsession. Il n’était pas la pour conquérir le monde. Il n’avait pas cette attitude et pourtant il a passé plus de temps à écrire des chansons et à inventer de nouvelles choses que tout artiste que je connaisse. Même quand il était sur la route dix jours d’affilée, à l’hôtel ou dans le bus, il allait avec une guitare entre les mains, travaillant sur des idées.

 Je l’ai rencontré pour la première fois en 1962. A l’époque, Otis était une sorte de tourneur, chanteur et chauffeur pour Johnny Jenkins et les Pinetoppers. Un jour ils arrivèrent au studio pour enregistrer quelques faces [1] . Otis était assis dans un coin toute la journée et, de temps en temps, il disait “Mec, j’aimerais bien enregistrer une chanson.” Après avoir fini avec Jenkins, on a dit “OK, voyons ce que ce mec a. Il est resté assis ici toute la journée et il a l’air d’en vouloir.”

 Otis avait cette chanson intitulée These Arms Of Mine dont il pensait beaucoup de bien, alors on l’a enregistrée et c’est comme ça que tout a commencé. C’est phénoménal de penser qu’il n’avait jamais été découvert jusqu’alors. Il aurait aussi bien pu être découvert ailleurs cinq ans plus tard. C’est comme ça que ça s’est passé. Juste en étant assis sur une chaise il pouvait montrer son intérêt pour la musique. Il n’était même pas insistant ou quoi que ce soit – il avait juste signalé aux gars qu’il aimerait bien enregistrer un disque. Il était si chaleureux et si gentil qu’on le lui a enregistré sans hésiter.

 Chaque fois que j’étais avec Otis, c’était une expérience. Tout le temps que je passais avec Otis, nous travaillions. Il n’y avait jamais de temps de pause. Qu’il soit là pour deux jours ou deux semaines, nous travaillions. C’était comme ça. Il ne se reposait quasiment jamais.

 Il soulignait toujours le mérite des musiciens dans tout ce qu’il faisait. S’il avait un tube, il nous disait “Mec, je n’aurais jamais pu faire ça si vous n’aviez pas été là.” Il faisait toujours des compliments aux musiciens. Il voulait toujours souligner le mérite de quelqu’un d’autre qui l’avait aidé. Vous ne pouvez pas vous empêcher d’aimer quelqu’un pour ça.

 Il voulait toujours qu’on l’accompagne en tournée. “J’ai un bon groupe”, disait-il, “et si j’vous avais là, on s’éclaterait.” Le seul moment qu’on a passé ensemble comme cela fut sur la tournée européenne et on s’est effectivement éclaté. Quand nous sommes revenus d’Europe, il était vraiment content. Il a dit qu’il n’avait jamais eu un groupe comme ça sur scène avant. Il est parti pour Nashville pour faire l’émission “Up Beat” et ensuite il est parti pour le Wisconsin. Il était censé revenir ici le lundi pour enregistrer plus de chansons.
 

 Juste avant l’accident, il était venu dans le studio pour toute une semaine puis il était parti puis il était revenu pour deux semaines de plus. On a enregistré plein de choses à lui à ce moment. A cette époque, il partait faire des cachets le week-end. Il revenait et on enregistrait du lundi au jeudi. Cette fois ci nous avions enregistré quelques lignes finales de cuivres, un vendredi matin. Il a dit “au revoir.” [2]

     

Mitch Ryder, Don Webster, Otis Redding & The Bar-Kays
émission "Up Beat" le 9 décembre 1967

 

 Nous avions en fait juste commencé à travailler. Nous étions en train d’écrire des chansons vraiment bonnes. L’accident a tout fait exploser. Quel dommage. Nous étions réveillés jusqu’à 6h, un matin. Otis ne faisait pas juste sa journée de travail et puis ensuite rentrait à la maison et oubliait tout. Il ne s’arrêtait pas.

 Je suis satisfait de tout ce que j’ai jamais fait sur les disques d’Otis. Tout ce qu’il faisait était un exploit. Ce qu’il y mettait en faisait une telle chose. C’était Otis et ça sonnait bien. Otis et moi avons écrit FA FA ensemble et ce fut l’un de mes meilleurs moments avec lui. C’était sympa. Il y avait tellement d’intérêt et de travail en cours.

 J’ai appris beaucoup juste en étant avec lui. Je ne peux pas penser à une chose en particulier qu’il m’aurait apprise. C’était juste l’expérience de travailler avec lui. La principale chose que j’ai tirée d’Otis est l’intérêt brûlant de travailler sur quelque chose. Il avait toujours la bonne direction. Il ne se contentait pas d’un seul motif dans ses chansons, ou d’une seule idée. Beaucoup d’auteurs se cantonnent à un style mais Otis explorait.

 Son amour des gens se voyait dans ses chansons. Il essayait toujours de revenir chez son bébé ou elle lui manquait – elle était la chose la plus importante du monde. Il avait toujours une approche positive. C’est difficile de convaincre le public avec une chanson négative du style “tu m’as causé du tort.” Otis m’a montré que la meilleure façon de faire est d’écrire positif.

 Otis n’a pas eu la possibilité d’être avec sa femme et ses trois enfants autant qu’il voulait. Il avait pourtant de vrais sentiments pour eux. Dès qu’il en avait le temps, il pensait à eux. Il amenait sa femme et ses enfants aux séances d’enregistrement assez souvent. Sa femme était dans le studio une semaine avant l’accident.

 Quelques mois avant l’accident, Otis avait eu une opération de la gorge. La période de convalescence lui avait permis de passer plus de temps à la maison qu’il n’en avait jamais eu depuis ses débuts. Il avait développé des polypes à force d’être sur scène et de crier depuis si longtemps. C’est déjà arrivé à plusieurs artistes. Quand il est revenu de son opération, sa voix s’était améliorée. Elle était propre et ne cassait pas. Avant l’opération elle était devenue risquée. Pendant les séances d’enregistrement il ne pouvait pas chanter toute la nuit. Sa voix aurait cassé. Mais, pendant ses trois ou quatre dernières semaines, sa voix était meilleure que jamais.

Pendant ces séances il a enregistré neuf faces et c’est le meilleur matériau qu’il ait jamais produit. Ensuite, quand il a découvert qu’il sonnait mieux, il est revenu et a réenregistré une série d’autres chansons qui étaient en cours. Les idées et les arrangements sont bons et les messages sont clairs.

 Otis ne pouvait pas s’arrêter de parler du matériel qu’il avait écrit pour les dernières séances. Il ne cessait de dire à tout le monde “Attendez d’entendre la prochaine.” Il sentit que DOCK OF THE BAY était l’une de ses meilleures faces. Quand il est arrivé avec, il m'a joué la mélodie et il avait presque un couplet entièrement écrit. Nous nous sommes assis dans le studio tout seuls et en deux heures nous avions terminé la chanson. Je l’ai aidé avec une partie du second couplet, avec le pont et les changements. Puis j’ai fait les arrangements. Otis était un assez bon guitariste rythmique. Mais il voulait que ce soit moi qui joue de la guitare acoustique sur DOCK OF THE BAY. Nous avons donc établi la rythmique avec l’acoustique et j’ai réenregistré la guitare électrique par-dessus. Sur certaines des chansons qui étaient en cours, c'est Otis qui joue de la guitare rythmique.

 S’il y avait une chose en particulier qu’il jouait sur sa guitare, quand il me montrait ses chansons, je l’apprenais et je la copiais sur le disque. Nous faisions ça pour lui laisser plus de liberté au micro. Beaucoup de gens disent que je joue différemment sur les disques d’Otis. C’est parce qu’il me montrait ce qu’il voulait. Il s’accordait sur un accord et jouait à vide comme Jimmie Rodgers. [3] La dernière fois que je l’ai vu était lors de la séance d’enregistrement de DOCK OF THE BAY. Je ne peux pas expliquer comment sa mort a choqué tout le monde ici.

Les funérailles furent incroyables. Tous les grands artistes de soul sont venus. Elles ont eu lieu dans un grand auditorium de sa ville, Macon, Géorgie. Il était si plein, il y avait 5.000 personnes dehors qui ne pouvaient entrer. Elles étaient juste debout dans les rues. Des gens sont venus du monde entier. James Brown et Solomon Burke et Joe Tex sont venus. Sam & Dave, Rufus et Carla, tous nos artistes y étaient. Booker T. joua de l’orgue et Johnnie Taylor et Joe Simon chantèrent des chants religieux. Ensuite il y eut un enterrement calme dans sa ferme de Macon.

            

 Tout le monde fut frappé au même moment. Choc instantané. Nous avons prévu des séances d’enregistrement aussi tôt que possible pour remettre tout le monde les pieds sur terre. Ce fut une grande perte pour le monde entier. Maintenant, personne ne saura jamais ce qu’il avait dans sa boutique pour eux. Il commençait tout juste à entrer dans quelque chose. Il était en train de sortir du rhythm and blues pur et dur. Il allait au-delà de ça. Il touchait tout le monde, tout autour du monde.

 L’opération lui avait donné presque deux mois pour se retrouver. En s’éloignant de lui-même, loin de la scène, il se mit à réfléchir “Hey, où est-ce que je vais ?” Sa dernière séance montra un indéniable progrès. Il avait une nouvelle vie devant lui.


Traduction et notes,  Dror - juillet 2003

 

 

[1] - une face de 45 tours = une chanson.

[2] - y’all est typiquement de l’argot du sud des Etats-Unis.

[3] - Steve Cropper fait allusion aux “open tunings” Normalement une guitare est accordée Mi-La-Ré-Sol-Si-Mi et on pose les doigts de la main gauche sur les cordes pour faire sonner un accord. Un “open tuning” est une façon d’accorder sa guitare de telle sorte que, même à vide, sans doigts de la main gauche, elle sonne déjà comme un accord, par exemple l'“open tuning” de Sol est: Ré-Sol-Ré-Sol-Si-Ré, où, à vide, la guitare sonne en accord en Sol.

 

ROCK & SOUL SONGS published bimonthly by Charlton Publications, Inc.
Vol 14 . N° 64, May, 1969 / Editor Jim Delehant

 

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